Alexis MASSON : « L’image populaire que l’on se fait d’Epicure est le résultat des dénigrements de ses adversaires. En réalité, Epicure est très éloigné de cette image. Il est très loin de s’adonner à tous les plaisirs, au contraire, c’est un ascète. Il pense que le désir est le signe d’un manque qui vient troubler l’âme. Il faut donc se limiter au strict nécessaire, il ne faut écouter que ses besoins. Ensuite, Epicure est loin d’être athée. Au contraire, le consensus général des hommes concernant l’existence des dieux lui fait dire que ce doit être une vérité innée. Il encourage même le culte des dieux. »
C.K. : « Pourquoi Epicure parle t-il des « dieux » au pluriel ? Pourquoi est-il polythéiste alors que les autres philosophes que nous avons étudié précédemment (Xénophane, Anaxagore, Platon, Aristote) tendaient vers le monothéisme ? »
A.M. : « Epicure représente une régression dans la méthodologie philosophique. Les philosophes qui le précédent ont tenté de penser le divin de manière totalement rationnelle, indépendamment des opinions et des mythes. Epicure au contraire part de l’opinion commune, il tente simplement de supprimer ce qu’il croit être des incohérences dans les opinions. »
C.K. : « Quelles incohérences croit-il discerner ? Que sont les dieux d’après Epicure ? »
A.M. : « Epicure constate que ce sur quoi toutes les opinions s’accordent, c’est que les dieux sont bienheureux et immortels. C’est là toute la différence entre la condition humaine et la condition divine : les hommes, eux, sont souffrants et mortels. En revanche, les dieux et les hommes sont semblables en forme, les dieux sont des esprits, ayant un corps très subtil, mais la même forme que les hommes. Ils ne sont visibles que par l’esprit et se manifestent dans les rêves. Alors que Xénophane critiquait violemment l’imagination des hommes qui attribuent des caractères anthropomorphiques au divin, Epicure pense au contraire que l’opinion et l’imagination communes sont une source de vérité. Par contre, Epicure rejette l’idée que les dieux interviennent dans les affaires humaines, à la différence d’ailleurs des philosophes qui le précèdent. Son argument est le suivant : les dieux sont bienheureux ; or s’ils intervenaient dans les affaires humaines ils auraient de l’inquiétude, de la colère, etc. ; donc les dieux n’interviennent pas dans les affaires humaines. Epicure rejette l’idée que les dieux aient créé l’univers pour le bien des hommes : pour preuve, l’existence omniprésente du mal. Si les dieux sont tout-puissants et bon, alors comment expliquer le mal ? Et si les dieux sont bienheureux, pour quelle raison aurait-il pu vouloir créé l’univers ? D’après Epicure, il y a là une série de contradiction dans l’idée que les dieux sont providentiels et bons : au contraire, pour être bienheureux, les dieux ne doivent s’occuper que d’eux-mêmes. »
A.M. : « Les chrétiens apportent une réponse complexe mais intéressante, fondée sur le concept d’amour. Epicure a raison de dire que le divin n’a aucune raison de créé l’univers, il ne souffre d’aucun manque, il est bienheureux. Mais Dieu justement, Dieu est amour, il fait le don de l’existence d’une manière purement gratuite. Certes, il y a le mal dans le monde, mais Dieu connaît déjà le règne de la justice à venir, il n’est donc pas malheureux. S’il y a du mal, c’est parce que Dieu voulait que l’homme soit libre afin qu’il puisse entretenir une relation d’amour et non de viol avec lui. Or l’homme a utilisé sa liberté pour rejeter Dieu, ce qui fait que le mal s’introduit dans le monde, puisque Dieu est la source du bien. Mais ce mal, comme nous l’avons déjà dit, n’est que provisoire, il n’entame pas le « moral » de Dieu. Ainsi, il est possible que Dieu soit à la fois bienheureux et bon, créateur, puissant et providentiel bien que le mal existe. »
C.K. : « Dans la Bible, le livre des Actes des Apôtres rapporte une rencontre entre l’Apôtre Paul et les disciples d’Epicure. Mais les épicuriens finissent par rejeter Paul, pourquoi ? »
A.M. : « Tout d’abord il faut nuancer l’échec de cette rencontre : même si la majorité va se moquer de Paul, certaines personnes qui étaient présentes vont s’attacher à lui et croire (Actes 17.32). Cet échec relatif à plusieurs raisons. La première, c’est que Paul parle de Dieu comme du Créateur et du Seigneur de l’univers (Actes 17.24). Une telle chose est évidemment à l’opposé des conceptions des épicuriens, pour qui les dieux sont bienheureux et ne s’occupent que d’eux-mêmes. La seconde, et finalement la plus importante puisque c’est sur ce point précis que les épicuriens vont se moquer de Paul, c’est que le christianisme annonce la résurrection des morts. Les épicuriens disent (cf. Epicure, Lettre à Ménécée sur la morale) que l’on ne doit pas craindre la mort, puisque la mort n’est rien, nous passons de l’être au non-être, il est ridicule de craindre ce qui n’est rien ! De toute manière, l’homme est mortel (il n’est pas un dieu), le mieux est pour lui d’assumer ce fait. L’épicurien est indifférent à la vie comme à la mort, inutile à tenir à la vie excessivement puisque l’on est mortel, d’autant plus que parfois son lot de souffrance devient insupportable, inutile de craindre la mort puisqu’elle n’est rien. Epicure n’hésite à recommander le suicide si l’on ne supporte plus la vie. De son côté, Paul annonce que la vie est un bien, un don de Dieu, et qu’il ne veut pas la mort de l’homme c’est pourquoi il nous ressuscitera ! »
Source: Alexis Mansson
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